Une retraite qui fait sens

Alors qu’en France une nouvelle réforme des retraites fait débat, notamment parce qu’elle recule l’âge du départ à la retraite de deux ans, qui passera donc de 62 à 64 ans, de nombreuses réflexions autour du sens du travail et de la retraite (re)font surface de l’autre côté de l’Atlantique.

La sociologue française Marie-Anne Dujarier, explique dans son livre Troubles dans le travail, que ce dernier n’existe pas en soi, qu’il s’agit d’une construction sociale ayant émergé à partir du 11ème siècle et valorisée socialement et moralement depuis les débuts du capitalisme, mais également que le travail a toujours été polysémique. Elle note d’ailleurs qu’il existe pas moins de 88 synonymes du mot “travail”.

Quant au mot “sens”, toujours d’après la sociologue, il a 3 dimensions : celle de l’orientation, celle de la sensation et celle de la signification. Cela nous amène à nous interroger sur la manière et l’importance de donner sens à sa vie. Lorsque l’on sait que l’on passe les deux tiers de son existence à travailler, nous prenons conscience que donner un sens à sa vie, c’est en grande partie de donner un sens à son travail. Par ailleurs, dans notre société actuelle, la profession que l’on exerce détermine dans bien des cas notre statut social et influence parfois même la nature de nos interactions avec les autres. Combien d’entre nous avons démarré une conversation avec un.e inconnu.e en lui demandant “que fais-tu dans la vie ?” sous-entendu “quel travail occupes-tu ?” ou encore en introduisant son nom, prénom et métier ? C’est pour dire à quel point notre activité professionnelle importe à nos yeux et surtout à ceux des autres.

Ainsi, l’arrivée de la retraite pour certain·es peut représenter une véritable rupture sociale, surtout que l’espérance de vie s’allonge de plus en plus, et que l’on passe en moyenne 20 à 25 années en tant que retraité·e dans une société comme la France ou le Québec. Alors que faire de ces années, que faire de ce temps, que faire de cette partie majeure de sa vie ?

On ne peut pas passer presque la moitié de notre vie à ne rien faire !
— Stéphane Lemire, gériatre (entrevue pour Place Publique, Radio-Canada)

Ici au Québec, certain·es ont tendance à utiliser l’image des “snowbirds” pour illustrer ce qu’est la vie de retraité·e, à savoir voyager dans le sud une bonne partie de l’année (souvent durant la saison hivernale), ou encore celle des aîné·es bénévoles dans les centres communautaires. Cependant, cette image ne représente qu’une partie de cette population puisqu’une récente étude de l’AQDR en collaboration avec l’Observatoire québécois des inégalités, a révélé que 49,2 % des québécois·es âgé·es de 60 ans et plus vivent sous le seuil du revenu viable.

On évoque donc de plus en plus l’idée du retour des retraité·es sur le marché du travail. D’après le gériatre Stéphane Lemire, ces dernières années, nous observons une hausse de 12% des travailleur·euses âgé·es de 65 ans et plus sur le marché du travail au Québec. Selon lui, le retour au travail a un impact positif tant sur le plan physique que cognitif, et permet de briser l’isolement.

Mais revenons à l’idée de donner sens.

La quête de sens est un réflexe naturel chez tout être humain et chez les personnes qui vieillissent c’est essentiel. On voit une certaine tristesse voir même une détresse qui s’installe quand il n’y a plus de sens, ou perte de sens.
— Renée Ouimet, directrice générale Mouvement santé mentale Québec

Dans ce changement de vie, dans ce changement de rythme, il doit y avoir un sens. D’autant plus que, ce ne sont pas tous les nouveaux·elles retraité·es qui quittent le marché du travail avec une grande excitation. Certains participant·es de Mûr·e pour entreprendre nous ont rapporté avoir vécu un épuisement professionnel juste avant de prendre leur retraite. L’un d’entre eux nous a même confié avoir subi un arrêt cardiaque lui ayant fait prendre conscience qu’il ne pouvait pas continuer dans cette carrière, et qu’il était temps qu’il s’écoute et qu’il s’épanouisse, et pour lui s’épanouir signifiait donner vie à son projet.

Parce que oui, des personnes en âge d’être à la retraite porteuses de projet, il en existe. C’est l’une des raisons pour lesquelles Mûr·e pour entreprendre a été mis sur pied, pour les aider et les accompagner dans le développement de leur(s) projet(s). Alors qu’il existe un nombre incalculable de programmes en entrepreneuriat dédiés aux moins de 40 ans, ceux adaptés aux plus de 40 ans se font rares, et ceux pour les 55 ans et plus sont quasiment inexistants. Mais l’intérêt que suscite notre programme démontre que la demande est belle et bien là.

À cet effet, nous avons soumis à nos participant·es un sondage pour mesurer les impacts de la formation Mûr·e pour entreprendre et voici ce qu’il en est ressorti :

  • 72% des répondant·es ont indiqué avoir besoin d’un revenu supplémentaire pour vivre une retraite confortable

  • Les facteurs décisionnels de participations sont pour la plupart :

    • le besoin d’être formé·e en développement de projet et sur les outils numériques

    • être entouré·e de personnes vivant des réalités similaires (être retraité·e ou pré-retraité·e, être proche aidant·e, vouloir s’impliquer dans sa communauté, entre autres)

    • un rythme de formation adapté

  • Les mots/concepts qui reviennent le plus souvent quant aux effets :

    • persévérance

    • motivation

    • confiance en soi

    • organisation

    • démystification de l’entrepreneuriat

Promouvoir l’idée que les retraité·es ont leur place dans toutes les sphères de la société, que ce soit le marché du travail, l’écosystème entrepreneurial, les actions communautaires, et qu’ils·elles ont tout autant le droit de vouloir se réaliser, s’épanouir et donner un sens à leur vie que n’importe quel autre individu, est également un moyen de combattre les préjugés relatifs à l’âgisme.

De la même façon que l’on pousse les jeunes à être ambitieux·ses, pourquoi ne pas également soutenir et encourager les vieux et vieilles ambitieux·ses ?

 

Sources :

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